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Читем онлайн Laffaire Saint-Fiacre - Simenon

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— Allons ! Allons ! intervint l’avocat, à qui l’alcool commençait à faire de l’effet. Je suis persuadé que ce sera très bien… C’est le portrait d’un de vos parents ?…

Il montrait, au mur du grand salon, le portrait d’un homme vêtu d’une redingote rigide, le cou pris dans un faux col empesé.

— C’est mon père.

— Oui ! vous lui ressemblez.

Le domestique introduisait le docteur Bouchardon qui regarda autour de lui avec méfiance, comme s’il eût pressenti un drame. Mais Saint-Fiacre le reçut d’une façon enjouée.

— Entrez, docteur… Je suppose que vous connaissez Jean Métayer… Son avocat… Un homme charmant, comme vous le verrez… Quant au commissaire…

Les deux hommes se serrèrent la main et quelques instants plus tard le médecin grommelait à l’oreille de Maigret :

— Qu’est-ce que vous avez manigancé là ?

— Ce n’est pas moi… C’est lui !

L’avocat, par contenance, se dirigeait sans cesse vers le guéridon sur lequel son verre était posé et il ne se rendait pas compte qu’il buvait plus que de raison.

— Quelle merveille, ce vieux château !… Et quel cadre pour un film !… C’est ce que je disais récemment au procureur de Bourges, qui a horreur du cinéma… Tant qu’on tournera dans des décors qui…

Il s’animait, cherchait sans cesse à se raccrocher à quelqu’un.

Quant au comte, il s’était approché de Métayer et se montrait à son égard d’une amabilité inquiétante.

— Le plus triste, ici, ce sont les longues soirées d’hiver, n’est-ce pas ?… De mon temps, je me souviens que mon père avait l’habitude d’inviter, lui aussi, le docteur et le curé… Ce n’étaient pas les mêmes qu’à présent… Mais déjà le docteur était un mécréant et les discussions finissaient toujours par rouler sur des sujets philosophiques… Voici justement le…

C’était le curé, les yeux cernés, l’attitude compassée, qui ne savait que dire et qui restait hésitant sur le seuil.

— Excusez-moi d’être en retard, mais…

À travers les portes ouvertes, on voyait deux domestiques qui dressaient les couverts dans la salle à manger.

— Offrez donc quelque chose à boire à M. le curé…

C’était à Métayer que le comte parlait. Maigret remarquait que lui-même ne buvait pas. Mais l’avocat, lui, ne tarderait pas à être ivre. Il expliquait au commissaire avec ahurissement :

— Un peu de diplomatie, tout simplement ! Ou, si vous préférez, la connaissance de l’âme humaine… Ils sont à peu près du même âge, de bonne famille tous les deux… Dites-moi pourquoi ils se seraient regardés comme des chiens de faïence ?… Est-ce que leurs intérêts ne sont pas connexes ?… Le plus curieux…

Il rit. Il but une gorgée d’alcool.

— … C’est que cela s’est passé par hasard, dans un café… Comme quoi ces braves cafés de province, où l’on est comme chez soi, ont du bon…

On avait entendu dehors un bruit de moteur. Le comte pénétra un peu plus tard dans la salle à manger où le régisseur se trouvait et l’on perçut une fin de phrase :

— Tous les deux, oui !… Si vous voulez !… C’est un ordre !…

Sonnerie de téléphone. Le comte était revenu au milieu de ses invités. Le maître d’hôtel entra dans le fumoir.

— L’entrepreneur des pompes funèbres… Il demande à quelle heure on peut apporter le cercueil…

— Quand il voudra.

— Bien, monsieur le comte !

Et celui-ci lança presque gaiement :

— À table, voulez-vous ?… J’ai fait monter les dernières bouteilles de la cave… Passez le premier, monsieur le curé… Cela manque un peu de dames, mais…

Maigret voulut le retenir un instant par la manche. L’autre le regarda dans les yeux, avec une pointe d’impatience, se dégagea brusquement et pénétra dans la salle à manger.

— J’ai invité M. Gautier, notre régisseur, ainsi que son fils, qui est un garçon d’avenir, à partager notre repas…

Maigret regardait les cheveux de l’employé de banque et, malgré son inquiétude, il ne put s’empêcher de sourire. Les cheveux étaient humides. Avant d’entrer au château, le jeune homme avait rectifié sa raie, s’était lavé la figure et les mains, avait changé de cravate.

— À table, messieurs !

Et le commissaire eut la certitude qu’un sanglot gonflait la gorge de Saint-Fiacre. Cela passa inaperçu, parce que le docteur détournait involontairement l’attention en saisissant un flacon poudreux et en murmurant :

— Vous avez encore de l’Hospice de Beaune 1896 ?… Je croyais que les dernières bouteilles avaient été acquises par le Restaurant Larue et que…

Le reste se perdit dans le bruit des chaises remuées. Le prêtre, mains jointes sur la nappe, tête baissée, lèvres mobiles, récitait les grâces.

Maigret surprit le regard insistant que Saint-Fiacre laissait peser sur lui.

IX

Sous le signe de Walter Scott

La salle à manger était la pièce du château qui avait le moins perdu de son caractère, grâce aux boiseries sculptées qui couvraient les murs jusqu’au plafond. En outre, la pièce était plus haute que vaste, ce qui la rendait non seulement solennelle mais lugubre, car on avait l’impression de manger au fond d’un puits.

Sur chaque panneau, deux lampes électriques, de ces lampes oblongues qui imitent les cierges, y compris les fausses larmes de cire.

Au milieu de la table, un vrai chandelier à sept branches, avec sept vraies bougies.

Le comte de Saint-Fiacre et Maigret étaient face à face, mais ne pouvaient se voir qu’en raidissant le torse pour regarder par-dessus les flammes.

À droite du comte, le prêtre. À gauche, le docteur Bouchardon. Le hasard avait placé Jean Métayer à un bout de la table, l’avocat à l’autre bout. Et aux côtés du commissaire il y avait le régisseur d’une part, Émile Gautier de l’autre.

Le maître d’hôtel s’avançait parfois dans la lumière pour servir les convives, mais aussitôt qu’il reculait de deux mètres il était noyé dans l’ombre et l’on ne voyait plus que ses mains gantées de blanc.

— Ne trouvez-vous pas qu’on se croirait dans un roman de Walter Scott ?

C’était le comte qui parlait, d’une voix indifférente. Et pourtant Maigret tendit l’oreille, car il sentit une intention, devina que quelque chose allait commencer.

On n’était qu’aux hors-d’œuvre. Sur la table, il y avait pêle-mêle une vingtaine de bouteilles de vin blanc et rouge, bordeaux et bourgognes, et chacun se servait à sa guise.

— Il n’y a qu’un détail qui cloche… poursuivait Maurice de Saint-Fiacre. Dans Walter Scott, la pauvre vieille, là-haut, se mettrait tout à coup à crier…

L’espace de quelques secondes, chacun cessa de mastiquer et l’on sentit passer comme un courant d’air glacé.

— Au fait, Gautier, on l’a laissée toute seule ?

Le régisseur avala en hâte, bégaya :

— Elle… Oui… Il n’y a personne dans la chambre de Mme la comtesse…

— Ce ne doit pas être gai !

À cet instant un pied frôla celui de Maigret avec insistance, mais le commissaire ne put deviner à qui ce pied appartenait. La table était ronde. Chacun pouvait en atteindre le centre. Et l’incertitude de Maigret allait continuer car, durant la soirée, les petits coups de pied allaient se succéder à une cadence de plus en plus rapide.

— Elle a reçu beaucoup de monde, aujourd’hui ?

C’était gênant de l’entendre parler ainsi de sa mère comme d’une personne vivante, et le commissaire constata que Jean Métayer en était si affecté qu’il cessait de manger et qu’il regardait droit devant lui de ses yeux de plus en plus cernés.

— Presque tous les fermiers du pays ! répondit la voix grave du régisseur.

Quand le maître d’hôtel apercevait une main tendue vers une bouteille, il s’approchait sans bruit. On voyait surgir son bras noir terminé par un gant blanc. Le liquide coulait. Et c’était fait dans un tel silence, avec une adresse telle que l’avocat, plus qu’éméché, recommença trois ou quatre fois l’expérience avec émerveillement.

Il suivait, ravi, ce bras qui ne frôlait même pas son épaule. À la fin il n’y tint plus.

— Épatant ! Maître d’hôtel, vous êtes un as et, si je pouvais me payer un château, je vous prendrais à mon service…

— Bah ! le château sera bientôt à vendre pour pas cher…

Cette fois, tout de même, Maigret fronça les sourcils en regardant Saint-Fiacre qui parlait de la sorte, d’une drôle de voix indifférente mais quelque peu funambulesque. Malgré tout, il y avait dans ces reparties quelque chose de grinçant. Avait-il enfin les nerfs à fleur de peau ? Était-ce une façon sinistre de plaisanter ?

— Poulets demi-deuil… annonça-t-il comme le maître d’hôtel apportait en effet des poulets aux truffes.

Et, sans transition, de la même voix légère :

— L’assassin va manger du poulet demi-deuil, comme les autres !

Le bras du maître d’hôtel se glissait entre les convives. La voix du régisseur articula avec une désolation comique :

— Oh ! monsieur le comte…

— Mais oui ! Qu’y a-t-il d’extraordinaire à cela ? L’assassin est ici, cela ne fait aucun doute ! Mais que cela ne vous coupe pas l’appétit, monsieur le curé ! Le cadavre est dans la maison aussi et cela ne nous empêche pas de manger… Un peu de vin pour M. le curé, Albert !…

Le pied frôlait à nouveau la cheville de Maigret qui laissa tomber sa serviette, se pencha sous la table, mais trop tard. Quand il se redressa, le comte disait sans s’arrêter de manger son poulet :

— Je parlais tout à l’heure de Walter Scott, à cause de l’atmosphère qui règne dans cette pièce, mais aussi et surtout à cause de l’assassin… En somme, n’est-ce pas ? c’est une veillée funèbre… Les obsèques ont lieu demain matin et il est probable que nous ne nous séparerons pas d’ici là… M. Métayer a tout au moins le mérite d’avoir rempli la cave à liqueurs d’excellent whisky…

Et Maigret essayait de se souvenir de ce que Saint-Fiacre avait bu. Moins que le docteur, en tout cas, qui s’écriait :

— Excellent ! Ça oui ! Mais aussi mon client est-il petit fils de vignerons et…

— Je disais… Qu’est-ce que je disais donc ?… Ah ! oui !… Remplissez le verre de M. le curé, Albert…

« Je disais que, puisque l’assassin est ici, les autres font en quelque sorte figure de justiciers… Et c’est par cela que notre assemblée ressemble à un chapitre de Walter Scott…

« Remarquez qu’en réalité l’assassin en question ne risque rien. N’est-ce pas, commissaire ?… Ce n’est pas un crime de glisser une feuille de papier dans un missel…

« À ce sujet, docteur… Quand a eu lieu la dernière crise de ma mère ?…

Le docteur s’essuya les lèvres, regarda autour de lui d’un air maussade :

— Il y a trois mois, quand vous avez télégraphié de Berlin que vous étiez malade dans une chambre d’hôtel et que…

— Je réclamais de la galette ! Voilà !

— J’ai annoncé à ce moment que la prochaine émotion violente serait funeste.

— Si bien que… Voyons… Qui le savait ? Jean Métayer, bien entendu… Moi, évidemment !… Le père Gautier, qui est presque de la maison… Enfin vous et M. le curé…

Il avala un plein verre de Pouilly, fit la grimace :

— Ceci pour vous dire qu’en bonne logique nous pouvons presque tous être considérés comme des coupables possibles… Si cela vous amuse…

À croire qu’il choisissait exprès les mots les plus choquants !

— … Si cela vous amuse, nous allons examiner le cas de chacun en particulier… Commençons par M. le curé… Avait-il intérêt à tuer ma mère ?… Vous allez voir que la réponse n’est pas si simple qu’elle en a l’air… Je laisse la question d’argent de côté…

Le prêtre suffoquait, hésitait à se lever.

— M. le curé n’avait rien à espérer… Mais c’est un mystique, un apôtre, presque un saint… Il a une drôle de paroissienne qui fait scandale par sa conduite… Tantôt elle se précipite à l’église comme la plus fervente des fidèles et tantôt elle fait régner le scandale sur Saint-Fiacre… Mais non ! Ne faites pas cette tête, Métayer… Nous sommes entre hommes… Nous faisons, si vous voulez, de la haute psychologie…

» M. le curé a une foi si vive qu’elle pourrait le pousser à certaines extrémités. Souvenez-vous du temps où l’on brûlait les pécheurs pour les purifier… Ma mère est à la messe… Elle vient de communier… Elle est en état de grâce… Mais, tout à l’heure, elle va retomber dans son péché et être à nouveau un objet de scandale…

« Si elle meurt, là, à son banc, saintement…

— Mais… commença le prêtre, qui avait de grosses larmes dans les yeux et qui se retenait à la table pour rester calme.

— Je vous en prie, monsieur le curé… Nous faisons de la psychologie. Je veux vous prouver que les personnes les plus austères peuvent être soupçonnées des pires atrocités… Si nous passons au docteur, je suis plus embarrassé… Ce n’est pas un saint… Et, ce qui le sauve, c’est de ne pas même être un savant… Car, dans ce cas, il aurait pu faire le coup du bout de papier dans le missel pour expérimenter la résistance d’un cœur malade…

Le bruit des fourchettes s’était tellement ralenti qu’il était presque tombé à zéro. Et les regards étaient fixes, inquiets, voire hagards. Il n’y avait que le maître d’hôtel à remplir les verres en silence, avec une régularité de métronome.

— Vous êtes lugubres, messieurs… Est-ce que, vraiment, en gens intelligents, on ne peut pas aborder certains sujets ?…

« Servez la suite, Albert… Donc, nous mettons le docteur à part, faute de le considérer comme un savant ou comme un chercheur… C’est sa médiocrité qui le sauve…

Il eut un petit rire, se tourna vers le père Gautier.

— À vous !… Cas plus complexe… Nous nous plaçons toujours du point de vue de Sirius, n’est-ce pas ?… Deux éventualités… D’abord, vous êtes le régisseur modèle, l’homme intègre qui consacre sa vie à ses maîtres, au château qui l’a vu naître… Il ne vous a pas vu naître, mais ce n’est rien… Dans ce cas, votre situation n’est pas nette. Les Saint-Fiacre n’ont qu’un héritier mâle… Et voilà que la fortune est en train de filer morceau par morceau au nez de cet héritier… La comtesse se conduit comme une folle… Est-ce qu’il n’est pas temps de sauver les restes ?…

« Ça, c’est noble comme du Walter Scott et votre cas ressemble à celui de M. le curé…

« Mais il y a le cas contraire aussi ! Vous n’êtes plus le régisseur modèle que le château a vu naître… Vous êtes une canaille qui, depuis des années, profitez et abusez de la faiblesse de vos maîtres… Les fermes que l’on doit vendre, c’est vous qui les rachetez en sous-main… Les hypothèques, c’est vous qui les prenez… Ne vous fâchez pas, Gautier… Est-ce que le curé s’est fâché, lui ?… Et pourtant ce n’est pas fini…

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