Рейтинговые книги
Читем онлайн La danseuse du Gai-Moulin - Simenon

Шрифт:

-
+

Интервал:

-
+

Закладка:

Сделать
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 ... 16

— Tais-toi !… À ce soir… Je suis arrivé…

— René !

— Quoi ?…

— Je ne veux pas garder tout cet argent… Écoute !…

Mais Delfosse rentra chez lui avec un haussement d’épaules. Jean marcha plus vite, en regardant dans les vitrines pour s’assurer qu’on le suivait toujours.

Dans les rues calmes du quartier d’Outre-Meuse, il n’y eut plus de doute possible. Et alors ses jambes mollirent. Il faillit s’arrêter, pris de vertige. Mais, au contraire, il marcha plus vite, il fut comme tiré en avant par la peur.

Quand il arriva chez lui, sa mère questionna :

— Qu’est-ce que tu as ?

— Rien…

— Tu es tout pâle… On dirait que tu es vert…

Et, rageuse :

— C’est joli, pas vrai ?… À ton âge, te mettre dans des états pareils !… Où as-tu encore traîné, cette nuit ?… Et en quelle compagnie ?… Je ne comprends pas ton père, qui n’est pas plus sévère… Allons ! mange…

— Je n’ai pas faim.

— Encore ?

— Laisse-moi, mère, veux-tu ?… Je ne suis pas bien… Je ne sais pas ce que j’ai…

Mais le regard aigu de Mme Chabot ne se laissait pas attendrir. C’était une petite personne sèche, nerveuse, qui trottait du matin au soir.

— Si tu es malade, je vais faire venir le médecin.

— Non ! de grâce…

Des pas dans l’escalier. On aperçut la tête d’un étudiant à travers la porte vitrée de la cuisine. Il frappa, montra un visage inquiet, méfiant.

— Vous connaissez l’homme qui se promène dans la rue, madame Chabot ?

Il avait un fort accent slave. Ses yeux étaient ardents. Il s’emportait à la moindre occasion.

Il avait dépassé l’âge habituel des étudiants. Mais il était inscrit régulièrement à l’Université, dont il ne suivait jamais les cours.

On savait qu’il était Géorgien, qu’il s’était occupé de politique dans son pays. Il se prétendait noble.

— Quel homme, monsieur Bogdanowski ?

— Venez…

Il l’entraînait vers la salle à manger, dont la fenêtre donnait sur la rue. Jean hésitait à les suivre. Il finit pourtant par y aller, lui aussi.

— Il y a un quart d’heure qu’il est là, à faire les cent pas… Je m’y connais !… C’est sûrement quelqu’un de la police…

— Mais non ! riposta Mme Chabot, optimiste. Vous voyez de la police partout ! C’est tout simplement quelqu’un qui a un rendez-vous…

Le Géorgien lui jeta néanmoins un regard soupçonneux, grommela quelque chose dans sa langue et remonta chez lui. Jean avait reconnu l’homme aux larges épaules.

— Viens manger, toi ! Et ne fais pas de manières, hein ! Sinon, au lit, et le médecin tout de suite…

M. Chabot ne rentrait pas de son bureau à midi. On déjeunait dans la cuisine, où Mme Chabot n’était jamais assise, allant et venant de la table à son fourneau.

Tandis que Jean, tête basse, essayait d’avaler quelques bouchées, elle l’observait, et soudain elle remarqua un détail de toilette.

— D’où vient encore cette cravate ?

— Je… c’est René qui me l’a donnée…

— René, toujours René. Et tu n’as pas plus d’amour-propre que cela ? J’en ai honte pour toi ! Des gens qui ont peut-être de l’argent, mais qui ne sont pas recommandables pour la cause ! Les parents ne sont même pas mariés…

— Maman !

D’habitude, il disait mère. Mais il voulait être suppliant. Il était à bout. Il ne demandait rien, sinon la paix pendant les quelques heures qu’il était obligé de passer chez lui. Il imaginait l’inconnu faisant les cent pas en face, juste devant le mur de l’école où il avait passé ses premières années.

— Non, mon fils ! Tu files un mauvais coton, c’est moi qui te le dis ! Il est temps que cela change, si tu ne veux pas tourner mal comme ton oncle Henry…

C’était le cauchemar, cette évocation de l’oncle qu’on rencontrait parfois, ivre mort, ou bien qu’on apercevait sur une échelle en train de repeindre la façade d’une maison.

— Et pourtant, il avait fait des études, lui ! Il pouvait prétendre à n’importe quelle situation…

Jean se leva, la bouche pleine, arracha littéralement son chapeau du portemanteau et s’enfuit.

À Liège, certains journaux ont une édition du matin, mais l’édition importante paraît à deux heures de l’après-midi. Chabot marcha vers le centre de la ville dans une sorte de nuage ensoleillé qui brouillait sa vue et il se réveilla, la Meuse franchie, en entendant crier :

— Demandez la Gazette de Liège !… La Gazette de Liège qui vient de paraître… Le cadavre de la malle d’osier !… Horribles détails… Demandez la Gazette de Liège !…

À côté de lui, à moins de deux mètres, l’homme aux larges épaules achetait le journal, attendait sa monnaie. Jean fouilla dans sa poche, y trouva les billets qu’il avait enfouis pêle-mêle, chercha en vain des petites pièces. Alors il reprit sa route, poussa un peu plus tard la porte de l’étude où les employés étaient déjà arrivés.

— Cinq minutes de retard, monsieur Chabot ! remarqua le premier clerc. Ce n’est pas beaucoup, mais cela se répète trop souvent…

— Excusez-moi… Un tramway qui… Je vous apporte la petite caisse…

Il sentait bien qu’il n’avait pas son visage habituel. La peau brûlait à ses pommettes. Et il y avait des élancements dans ses prunelles.

M. Hosay feuilletait le carnet, vérifiait les additions au bas des pages.

— Cent dix-huit cinquante… C’est bien ce qui vous reste ?…

Jean regretta de n’avoir pas à changer ses billets. Il entendit le second clerc et la dactylo qui discutaient de la malle d’osier.

— Graphopoulos. C’est un nom turc, ça ?

— Il paraît que c’est un Grec…

Les oreilles de Jean bourdonnaient. Il tira deux billets de cent francs de sa poche. M. Hosay lui désigna froidement quelque chose qui était tombé par terre : un troisième billet.

— Il me semble que vous traitez l’argent avec beaucoup de légèreté. Vous n’avez pas de portefeuille ?

— Je vous demande pardon…

— Si le patron vous voyait mettre ainsi les billets de banque à même vos poches… Bon ! Je n’ai pas de monnaie… Vous reporterez à nouveau ces cent dix-huit francs cinquante… Quand la somme sera épuisée, vous me demanderez de l’argent… Cet après-midi, vous ferez le tour des journaux, pour déposer les annonces légales… C’est pressé ! Il faut qu’elles paraissent demain…

Le Turc ! Le Turc ! Le Turc !…

Dehors, Jean acheta un journal et resta un bon moment au centre d’un cercle de badauds parce que le vendeur lui cherchait de la monnaie. Il lut en marchant, en bousculant les passants :

« Le mystère de la malle d’osier.

» Ce matin, vers neuf heures, alors qu’il venait d’ouvrir les portes du Jardin d’acclimatation, le gardien remarqua une malle en osier de grandes dimensions posée sur une pelouse. Il essaya en vain de l’ouvrir. La malle était fermée à l’aide d’une tringle fixée par un fort cadenas.

» Il appela donc l’agent Leroy, qui avisa à son tour le commissaire de police de la 4e Division.

» Ce n’est qu’à dix heures que la malle fut enfin ouverte par un serrurier. Or, qu’on imagine le spectacle qui s’offrit aux enquêteurs !

» Un cadavre était replié sur lui-même et, pour le tasser davantage, on n’avait pas hésité à casser les vertèbres du cou.

» Un homme d’une quarantaine d’années au type étranger très prononcé, dont on chercha en vain le portefeuille. Par contre, dans une des poches du gilet, on trouva des cartes de visite au nom d’Éphraïm Graphopoulos.

» Celui-ci n’a dû arriver à Liège que très récemment, car il n’est pas inscrit au registre des étrangers et il ne figure pas non plus sur les fiches des hôteliers de la ville.

» Le médecin légiste ne procédera à l’autopsie que cet après-midi, mais dès à présent on croit que la mort remonte au cours de la nuit et qu’elle a été provoquée à l’aide d’un instrument très lourd, comme une matraque en caoutchouc, une barre de fer, un sac de sable ou une canne plombée.

» On lira tous les détails sur cette affaire, qui promet d’être sensationnelle, dans notre prochaine édition. »

Le quotidien à la main, Jean arrivait au guichet du journal La Meuse, y remettait les annonces légales et attendait son reçu.

La ville grouillait, dans le soleil. C’étaient les derniers beaux jours de l’automne et sur les boulevards on commençait à dresser les baraques foraines pour la grande kermesse d’octobre.

C’est en vain qu’il cherchait derrière lui son suiveur du matin. En passant devant le Pélican, il s’assura que Delfosse, qui n’avait pas de cours l’après-midi, n’y était pas.

Il fit un détour par la rue du Pot-d’Or. Les portes du Gai-Moulin étaient ouvertes. La salle était dans l’ombre et c’est à peine si l’on distinguait le grenat des banquettes. Victor lavait les vitres à grande eau et Chabot hâta le pas pour ne pas être aperçu.

Il alla encore à l’Express, au Journal de Liège

Le balcon d’Adèle le fascina. Il hésita. Une fois déjà il lui avait rendu visite, il y avait un mois de cela. Delfosse lui avait juré qu’il avait été l’amant de la danseuse. Alors il avait frappé à sa porte, vers midi, sous un prétexte stupide. Elle l’avait reçu, en peignoir douteux, avait continué sa toilette devant lui, tout en bavardant comme une bonne camarade.

Il n’avait rien tenté. Il n’en avait pas moins été heureux de cette intimité.

Il poussa la porte du rez-de-chaussée, à côté de l’épicerie, gravit l’escalier sombre, frappa.

On ne répondit pas. Mais bientôt il y eut des pas traînants sur le plancher. L’huis s’entrouvrit, laissant passer une forte odeur d’alcool à brûler.

— C’est toi ! Je croyais que c’était ton ami !

— Pourquoi ?

Adèle retournait déjà vers le petit réchaud de nickel sur lequel était posé un fer à friser.

— Une idée ! Je ne sais pas ! Ferme vite ! Il y a un courant d’air…

À cet instant, Chabot se sentait pris de l’envie de se confier à elle, de tout lui dire, de lui demander conseil, de se faire consoler en tout cas par cette femme aux yeux fatigués, à la chair un peu lasse mais si savoureuse sous le peignoir, aux pantoufles de satin rouge qu’elle traînait à travers la chambre en désordre.

Sur le lit défait, il vit un numéro de la Gazette de Liège.

III

L’homme aux larges épaules

Elle venait de se lever, et près du réchaud bavait une boîte de lait condensé.

— Ton ami n’est pas avec toi ? insista-t-elle.

Du coup, Chabot se rembrunit et c’est sur un ton grognon qu’il répliqua :

— Pourquoi serait-il avec moi ?

Elle ne s’aperçut de rien, ouvrit une armoire où elle chercha une chemise de soie crevette.

— C’est vrai que son père est un gros industriel ?

Jean ne s’était pas assis, n’avait même pas déposé son chapeau. Il la regardait aller et venir, en proie à un sentiment trouble où il entrait de la mélancolie, du désir, un respect instinctif de la femme et du désespoir.

Elle n’était pas belle, surtout en savates et en peignoir fripé. Mais peut-être, pour lui, dans l’abandon de cette intimité, n’en avait-elle que plus de charme.

Avait-elle vingt-cinq ou trente ans ? Elle avait beaucoup vécu, en tout cas. Elle parlait souvent de Paris, de Berlin, d’Ostende. Elle citait des noms de boîtes de nuit célèbres.

Mais sans fièvre, sans orgueil, sans pose. Au contraire ! Le trait dominant de son caractère était une lassitude qui perçait dans son regard vert, dans la façon désinvolte dont ses lèvres retenaient la cigarette, dans les gestes et dans les sourires.

Une lassitude souriante.

— Fabricant de quoi ?

— De vélos…

— C’est rigolo ! J’ai connu, à Saint-Etienne, un autre constructeur de bicyclettes. Quel âge a-t-il ?…

— Le père ?

— Non, René…

Il se renfrogna davantage à cause de ce prénom sur ces lèvres.

— Dix-huit ans…

— Il est vicieux, je parie ?

La familiarité était complète. Elle traitait Jean Chabot d’égal à égal. Par contre, quand elle parlait de René Delfosse, il y avait une nuance de considération dans sa voix.

Est-ce qu’elle avait deviné que Chabot n’était pas riche, qu’il appartenait à une famille à peu près pareille à la sienne ?

— Assieds-toi !… Cela ne te gêne pas que je m’habille ?… Passe-moi donc les cigarettes…

Il les chercha autour de lui.

— Sur la table de nuit !… C’est cela…

Et Jean, tout pâle, osa à peine toucher l’étui qu’il avait vu la veille entre les mains de l’étranger. Il regarda sa compagne qui, peignoir ouvert sur son corps nu, mettait ses bas.

Ce fut plus trouble encore que les premiers moments. Il devint pourpre, peut-être à cause de l’étui, peut-être à cause de cette nudité, plus probablement à cause des deux.

Adèle n’était pas seulement une femme. C’était une femme qui se trouvait mêlée à un drame, une femme qui, sans doute, avait un secret.

— Eh bien ?

Il tendit l’étui.

— Tu as du feu ?…

Sa main tremblait en présentant l’allumette enflammée. Alors elle éclata de rire.

— Dis donc ! tu n’as pas dû voir beaucoup de femmes dans ta vie, toi !…

— J’ai eu des maîtresses…

Le rire s’accentua. Elle le regardait en face, en fermant à demi les paupières.

— Tu es rigolo !… Un drôle de type… Passe-moi ma ceinture…

— Vous êtes rentrée tard, cette nuit ?

Elle l’observa avec une pointe de sérieux.

— Est-ce que tu serais amoureux ?… Et jaloux par-dessus le marché !… Je comprends maintenant pourquoi tu as fait une tête quand je t’ai parlé de René… Allons ! Tourne-toi vers le mur…

— Vous n’avez pas lu les journaux ?

— J’ai seulement parcouru le feuilleton.

— Le type d’hier a été tué.

— Sans blague ?

Elle n’était pas très émue. Tout juste de la curiosité.

— Par qui ?

— On ne sait pas. On a retrouvé son cadavre dans une malle d’osier.

Le peignoir fut jeté sur le lit. Jean se retourna au moment où elle rabattait sa chemise et cherchait une robe dans le placard.

— Encore une histoire pour m’attirer des ennuis !…

— Vous êtes sortie du Gai-Moulin avec lui ?

— Non ! Je suis partie seule…

— Ah !

— On dirait que tu ne me crois pas… Est-ce que, par hasard, tu te figurerais que je ramène ici tous les clients de la boîte ?… Je suis danseuse, mon petit… Comme telle, je dois pousser à la consommation… Mais, les portes fermées, fini !…

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 ... 16
На этой странице вы можете бесплатно читать книгу La danseuse du Gai-Moulin - Simenon бесплатно.
Похожие на La danseuse du Gai-Moulin - Simenon книги

Оставить комментарий