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XLIV
RÉVERSIBILITÉ
Ange plein de gaieté, connaissez-vous l'angoisse,La honte, les remords, les sanglots, les ennuis,Et les vagues terreurs de ces affreuses nuitsQui compriment le cœur comme un papier qu'on froisse?Ange plein de gaieté, connaissez-vous l'angoisse?
Ange plein de bonté, connaissez-vous la haine,Les poings crispés dans l'ombre et les larmes de fiel,Quand la Vengeance bat son infernal rappel,Et de nos facultés se fait le capitaine?Ange plein de bonté, connaissez-vous la haine?
Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres,Qui, le long des grands murs de l'hospice blafard,Comme des exilés, s'en vont d'un pied traînard,Cherchant le soleil rare et remuant les lèvres?Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres?
Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides,Et la peur de vieillir, et ce hideux tourmentDe lire la secrète horreur du dévouementDans des yeux où longtemps burent nos yeux avides?Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides?
Ange plein de bonheur, de joie et de lumières,David mourant aurait demandé la santéAux émanations de ton corps enchanté;Mais de toi je n'implore, ange, que tes prières,Ange plein de bonheur, de joie et de lumières!
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XLV
CONFESSION
Une fois, une seule, aimable et douce femme, À mon bras votre bras poliS'appuya (sur le fond ténébreux de mon âme Ce souvenir n'est point pâli);
Il était tard; ainsi qu'une médaille neuve La pleine lune s'étalait,Et la solennité de la nuit, comme un fleuve, Sur Paris dormant ruisselait.
Et le long des maisons, sous les portes cochères, Des chats passaient furtivement,L'oreille au guet, ou bien, comme des ombres chères, Nous accompagnaient lentement.
Tout à coup, au milieu de l'intimité libre Éclose à la pâle clarté,De vous, riche et sonore instrument où ne vibre Que la radieuse gaieté,
De vous, claire et joyeuse ainsi qu'une fanfare Dans le matin étincelant,Une note plaintive, une note bizarre S'échappa, tout en chancelant,
Comme une enfant chétive, horrible, sombre, immonde, Dont sa famille rougirait,Et qu'elle aurait longtemps, pour la cacher au monde, Dans un caveau mise au secret.
Pauvre ange, elle chantait, votre note criarde: "Que rien ici-bas n'est certain,Et que toujours, avec quelque soin qu'il se farde, Se trahit l'égoïsme humain;
Que c'est un dur métier que d'être belle femme, Et que c'est le travail banalDe la danseuse folle et froide qui se pâme Dans un sourire machinal;
Que bâtir sur les cœurs est une chose sotte; Que tout craque, amour et beauté,Jusqu'à ce que l'Oubli les jette dans sa hotte Pour les rendre à l'Éternité!"
J'ai souvent évoqué cette lune enchantée, Ce silence et cette langueur,Et cette confidence horrible chuchotée Au confessionnal du cœur.
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XLVI
L'AUBE SPIRITUELLE
Quand chez les débauchés l'aube blanche et vermeilleEntre en société de l'Idéal rongeur,Par l'opération d'un mystère vengeurDans la brute assoupie un ange se réveille.
Des Cieux Spirituels l'inaccessible azur,Pour l'homme terrassé qui rêve encore et souffre,S'ouvre et s'enfonce avec l'attirance du gouffre.Ainsi, chère Déesse, Être Lucide et pur,
Sur les débris fumeux des stupides orgiesTon souvenir plus clair, plus rose, plus charmant,À mes yeux agrandis voltige incessamment.
Le soleil a noirci la flamme des bougies;Ainsi, toujours vainqueur, ton fantôme est pareil,Âme resplendissante, à l'immortel soleil!
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XLVII
HARMONIE DU SOIR
Voici venir les temps où vibrant sur sa tigeChaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir;Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir;Valse mélancolique et langoureux vertige!
Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir;Le violon frémit comme un cœur qu'on afflige;Valse mélancolique et langoureux vertige!Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.
Le violon frémit comme un cœur qu'on afflige,Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir!Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir;Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige.
Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir,Du passé lumineux recueille tout vestige!Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige…Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir!
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XLVIII
LE FLACON
Il est de forts parfums pour qui toute matièreEst poreuse. On dirait qu'ils pénètrent le verre.En ouvrant un coffret venu de l'OrientDont la serrure grince et rechigne en criant,
Ou dans une maison déserte quelque armoirePleine de l'âcre odeur des temps, poudreuse et noire,Parfois on trouve un vieux flacon qui se souvient,D'où jaillit toute vive une âme qui revient.
Mille pensers dormaient, chrysalides funèbres,Frémissant doucement dans les lourdes ténèbres,Qui dégagent leur aile et prennent leur essor,Teintés d'azur, glacés de rose, lamés d'or.
Voilà le souvenir enivrant qui voltigeDans l'air troublé; les yeux se ferment; le VertigeSaisit l'âme vaincue et la pousse à deux mainsVers un gouffre obscurci de miasmes humains;
Il la terrasse au bord d'un gouffre séculaire,Où, Lazare odorant déchirant son suaire,Se meut dans son réveil le cadavre spectralD'un vieil amour ranci, charmant et sépulcral.
Ainsi, quand je serai perdu dans la mémoireDes hommes, dans le coin d'une sinistre armoireQuand on m'aura jeté, vieux flacon désolé,Décrépit, poudreux, sale, abject, visqueux, fêlé,
Je serai ton cercueil, aimable pestilence!Le témoin de ta force et de ta virulence,Cher poison préparé par les anges! LiqueurQui me ronge, ô la vie et la mort de mon cœur!
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XLIX
LE POISON
Le vin sait revêtir le plus sordide bouge D'un luxe miraculeux,Et fait surgir plus d'un portique fabuleux Dans l'or de sa vapeur rouge,Comme un soleil couchant dans un ciel nébuleux.
L'opium agrandit ce qui n'a pas de bornes, Allonge l'illimité,Approfondit le temps, creuse la volupté, Et de plaisirs noirs et mornesRemplit l'âme au delà de sa capacité.
Tout cela ne vaut pas le poison qui découle De tes yeux, de tes yeux verts,Lacs où mon âme tremble et se voit à l'envers… Mes songes viennent en foulePour se désaltérer à ces gouffres amers.
Tout cela ne vaut pas le terrible prodige De ta salive qui mord,Qui plonge dans l'oubli mon âme sans remord, Et, charriant le vertige,La roule défaillante aux rives de la mort!
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L
CIEL BROUILLÉ
On dirait ton regard d'une vapeur couvert;Ton œil mystérieux (est-il bleu, gris ou vert?)Alternativement tendre, rêveur, cruel,Réfléchit l'indolence et la pâleur du ciel.
Tu rappelles ces jours blancs, tièdes et voilés,Qui font se fondre en pleurs les cœurs ensorcelésQuand, agités d'un mal inconnu qui les tord,Les nerfs trop éveillés raillent l'esprit qui dort.
Tu ressembles parfois à ces beaux horizonsQu'allument les soleils des brumeuses saisons…Comme tu resplendis, paysage mouilléQu'enflamment les rayons tombant d'un ciel brouillé!
Ô femme dangereuse, ô séduisants climats!Adorerai-je aussi ta neige et vos frimas,Et saurai-je tirer de l'implacable hiverDes plaisirs plus aigus que la glace et le fer?
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LI
LE CHAT
I Dans ma cervelle se promène,Ainsi qu'en son appartement,Un beau chat, fort, doux et charmant.Quand il miaule, on l'entend à peine,
Tant son timbre est tendre et discret;Mais que sa voix s'apaise ou gronde,Elle est toujours riche et profonde,C'est là son charme et son secret.
Cette voix, qui perle et qui filtre,Dans mon fonds le plus ténébreux,Me remplit comme un vers nombreuxEt me réjouit comme un philtre.
Elle endort les plus cruels mauxEt contient toutes les extases;Pour dire les plus longues phrases,Elle n'a pas besoin de mots.
Non, il n'est pas d'archet qui mordeSur mon cœur, parfait instrument,Et fasse plus royalementChanter sa plus vibrante corde,
Que ta voix, chat mystérieux,Chat séraphique, chat étrange,En qui tout est, comme en un ange,Aussi subtil qu'harmonieux!
II De sa fourrure blonde et bruneSort un parfum si doux, qu'un soirJ'en fus embaumé, pour l'avoirCaressée une fois, rien qu'une.
C'est l'esprit familier du lieu;Il juge, il préside, il inspireToutes choses dans son empire;Peut-être est-il fée, est-il dieu?
Quand mes yeux, vers ce chat que j'aimeTirés comme par un aimant,Se retournent docilementEt que je regarde en moi-même,
Je vois avec étonnementLe feu de ses prunelles pâles,Clairs fanaux, vivantes opales,Qui me contemplent fixement.
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LII
LE BEAU NAVIRE
Je veux te raconter, ô molle enchanteresse!Les diverses beautés qui parent ta jeunesse; Je veux te peindre ta beauté,Où l'enfance s'allie à la maturité.
Quand tu vas balayant l'air de ta jupe large,Tu fais l'effet d'un beau vaisseau qui prend le large, Chargé de toile, et va roulantSuivant un rythme doux, et paresseux, et lent.
Sur ton cou large et rond, sur tes épaules grasses,Ta tête se pavane avec d'étranges grâces; D'un air placide et triomphantTu passes ton chemin, majestueuse enfant.
Je veux te raconter, ô molle enchanteresse!Les diverses beautés qui parent ta jeunesse; Je veux te peindre ta beauté,Où l'enfance s'allie à la maturité.
Ta gorge qui s'avance et qui pousse la moire,Ta gorge triomphante est une belle armoire Dont les panneaux bombés et clairsComme les boucliers accrochent des éclairs;
Boucliers provoquants, armés de pointes roses!Armoire à doux secrets, pleine de bonnes choses, De vins, de parfums, de liqueursQui feraient délirer les cerveaux et les cœurs!
Quand tu vas balayant l'air de ta jupe large,Tu fais l'effet d'un beau vaisseau qui prend le large, Chargé de toile, et va roulantSuivant un rythme doux, et paresseux, et lent.
Tes nobles jambes, sous les volants qu'elles chassent,Tourmentent les désirs obscurs et les agacent, Comme deux sorcières qui fontTourner un philtre noir dans un vase profond.
Tes bras, qui se joueraient des précoces hercules,Sont des boas luisants les solides émules, Faits pour serrer obstinément,Comme pour l'imprimer dans ton cœur, ton amant.
Sur ton cou large et rond, sur tes épaules grasses,Ta tête se pavane avec d'étrange grâces; D'un air placide et triomphantTu passes ton chemin, majestueuse enfant.
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